Auguste à Albert (1er août 1866)

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Titre

Auguste à Albert (1er août 1866)

Date

01/08/1866

Résumé

L'Australie, première étape du Tour du Monde organisé par Auguste pour le duc de Penthièvre. Un mois après son arrivée à Melbourne, il raconte à Albert sa découverte du pays.

Lettres Item Type Metadata

Location

Melbourne - Australie

Expediteur

Auguste

Destinataire

Albert

Transcription

Mon cher gros,

Voici un mois que je suis en Australie, et mon temps a été si occupé par les voyages et les études auxquelles je me livre dans ce pays nouveau et intéressant que j’en eu peu de loisirs. Au milieu de mes travaux, je n’en pense pas moins à vous tous, et je t’écris aujourd’hui pour te donner quelques détails qui te feront plaisir, je l'espère.

Tu n’as pas l‘idée, mon cher enfant, du développement rapide de ce pays, presque inconnu au commencement du siècle, occupé seulement par quelques tribus sauvages,il est arrivé d’un bond aux limites les plus avancées de la Civilisation.

Tout cela est à proprement parler l’ouvrage d’un homme dont l’intelligence a prévu les ressources immenses qu'il offrait, d’abord simple lieu de déportation pour les criminels anglais, l’établissement de Botany Bay a mené à la colonisation de la nouvelle Galles du Sud dont la capitale est Sydney.

La prospérité rapide de cette province a donné successivement naissance à cinq autres colonies qui occupent maintenant toute l’étendue des cotes du sud et de celles de l’immense continent australien et l’étendent plus loin dans l'intérieur du pays.

La province de Victoria, la plus petite et la plus riche, est à elle seule grande comme l’Angleterre bien que datant de 1854 seulement comme colonie séparée, elle compte déjà plus 700.000 âmes, des villes superbes où brillent des monuments et des institutions, qu’on retrouve en Europe que dans les capitales.

J’ai parcouru presqu'en entier cette vaste province sur des chemins de fer admirables, depuis Melbourne, la capitale jusqu’au coeur du pays, de l’autre côté de la rivière Murray, où des plaines immenses à perte de vue, bordées d’arbres seulement sur le parcours des rivières, nourrissent des troupeaux énormes de bœufs et de moutons, une des principales richesses du pays. C’est à l’élève des troupeaux qu’il doit la prospérité fabuleuse qu’est venue augmenter encore la découverte des mines d’or en 1851.

Les deux grandes industries sont les mines d’or et l’élève des troupeaux. On appelle ici « squatters » les grans éleveurs. Ils occupent des étendues de terre considérables, souvent plusieurs lieues carrés et sur leurs « runs », élèvent des moutons au nombre de 60 ou 100.000 chacun, et de 8 à 10.000 têtes pour le gros bétail. Cela te parait étrange, mon gros, mais c’est ainsi.

La laine fournie par la tonte des montons suffit à plus de la moitié de la consommation en Angleterre. La quantité importée chaque année, de Victoria seulement, dépasse 90 millions de francs. Tu auras une idée du développement fabuleux de cette industrie quand tu sauras qu’elle a pris naissance en 1836 par l’introduction de quelques moutons isolés venus de Sydney et de la terre de Van Diemen (Tasmanie).

Avant la fin de ce siècle, il est permis de croire que l’Australie, grande comme les 4/5èmes de l’Europe formera un des empires les plus riches du monde. Je ne saurais te dire avec quel plaisir j’ai pénétré au coeur du pays, visité les pâturages, et les mines d’or. Avec des bras et du courage, tout homme peut réussir. Les simples terrassiers gagnent 7.50 par jour et les ouvriers ajusteurs, fondeurs et mouleurs de 20 à 21 francs par huit heures de travail.

Le pays est curieux. Il s’élève graduellement de la côte jusqu’à une chaîne de montagnes qui lui est parallèle à une distance de de 20 à 28 lieues. Au delà le sol s’abaisse et forme vers le nord ces plaines immenses dont je t’ai parlé.

Ici le climat est à peu près le nôtre quoique plus doux. Tous nos fruits y poussent abondamment et sont exquis, la vigne réussit très bien et l'on fait du bon vin. Avant d’arriver aux plaines, il y a de grandes forêts d’eucalyptus*, qui disparaissent, rapidement absorbées par les mines.

Il y a des bêtes curieuses : des kangourous, des émeus (l'autruche australienne), des kakatoès superbes, des légions de perroquets et de perruches. Chose curieuse, les oiseaux ne chantent pas ; mais on introduit d’Europe, des bouvreuils, des serins, des rossignols... qui s'expriment à merveille.

Ah mon cher gros, que j’ai envie de te revoir ! En attendant, travaille mon enfant, je t'en supplie. Songe qu’à ton travail seul, tu devras d'être (...) état. Sois tendre, affectueux, plein de respect pour ta chère mère. Songe qu’elle ne veut que ton bien et que tu as tout à gagner à suivre ses conseils. Console là de mon absence par ton travail et ta conduite et tu me rendras bien heureux.

Au-revoir mon cher enfant, je t’embrasse de toute mon âme.

Ton père qui t’aime tendrement

Auguste Fauvel

* Eucalyptus Globulus
(plante endémique d'Australie)